mercredi 28 septembre 2011

L’esprit numérique Par Sabine Bohnké, fondatrice du cabinet Sapientis

mardi 27 septembre 2011

La consumérisation de l’IT :ce néologisme, tant il est largement employé dernièrement, conduit à prendre un peu de recul sur l’évolution du numérique dans nos sociétés et la façon dont cette dernière évolution transforme les organisations, les systèmes d’information des entreprises et pour finir les sociétés d’information.

Le terme lui-même induit une forme d’obstacle épistémologique, une résistance à comprendre et à expliquer, dans la démarche intellectuelle, le potentiel de transformation à l’œuvre, en renvoyant à l’économie de marché, au rapport de consommation entre les produits et services du numérique et les consommateurs de ces produits. Des technologies informatiques devenues passe-partout, appréhendables et utilisées par chacun, ou plus exactement, par le grand public, viennent concurrencer de l’extérieur les technologies offertes par l’entreprise, laquelle ne suit plus la cadence de l’évolution.

Du coup, pour ce qui est du poste de travail, des terminaux utilisés (PC, mobiles, smartphone, etc.) et des outils de communication, on trouve mieux ailleurs (derrière les murs ! … i.e, derrière le firewall) et finalement, ce ne serait pas plus mal pour plus de productivité individuelle à moindre coût de laisser les employées apporter leurs propres équipements, télécharger et utiliser les solutions gratuites d’inter-relations pour entrer en communication avec des experts du monde entier, échanger avec leurs pairs, leurs partenaires, leurs clients. Bon, avouons-le, à quelques réserves de sécurité près …

Est-ce cela l’évolution en question ? L’équipement des employés? La productivité individuelle ?

Au-delà de l’image, on reconnait également l’obstacle épistémologique dans le fait de réduire le phénomène et l’expliquer à partir de son utilité. La productivité des individus est une perception purement utilitaire du phénomène de transformation à l’œuvre. Il y a d’autres forces en jeu, d’autres ruptures, que la continuité de pensée avec les modes de production industrielle du passé, avec les modes d’acquisition et d’enseignement de la connaissance et avec les modèles d’organisation sociale empêche non seulement d’être appréhendées mais de se développer efficacement.

Industrialisation et modèle socio-économique

Industrialiser une production revient plus ou moins à pré-concevoir les éléments en série et standardiser la production par des moyens mécaniques. Le modèle accompagné de la technologie appropriée conduit à la reproductibilité. Cela suppose aussi de disposer de manière quasi-illimitée, pour la production de masse, des matériaux et ressources utiles pour obtenir le produit fini.
Technologie, modèle et ressources (main d’œuvre aussi bien que composants) sont trois pièces indispensables du puzzle.

Gutenberg n’a pas à proprement parler inventé l’imprimerie mais son usage de caractères d’imprimerie mobiles en métal - des pièces qui ne s’usaient pas contrairement aux anciennes pièces en bois – couplé à un moule, une encre et une presse appropriés a conduit à une invention technologique« révolutionnaire » en cela qu’elle pouvait changer la société.

Selon Bachelard : « L’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. »
Léonard De Vinci ne procédait pas autrement en observant les techniques existantes et en les rectifiant. Car « La pensée rationaliste ne commence pas. Elle rectifie. Elle régularise. Elle normalise ». A cela nous pouvons ajouter les réflexions d’Einstein sur la démarche scientifique, en particulier « il est nécessaire (…) de se livrer sans relâche à une critique des concepts fondamentaux si nous ne voulons pas, inconsciemment, être gouvernés par eux. »

Il faut arriver à critiquer la culture élémentaire, la connaissance élémentaire, les modèles, pour qu’il y ait progrès. Le modèle porte à la fois sur la notion de « moule » de conception, mais aussi celle de créativité. Il suppose d’imaginer un nouveau usage ou un usage optimisé des ressources, grâce à la technologie, existante ou nouvelle. Et ce n’est pas parce que la technologie existe qu’une société est toujours en mesure de l’exploiter pour une réelle évolution. Des modèles de société peuvent tout à la fois s’y opposer comme y adhérer.

La description que fait Peter Green, auteur du livre « d’Alexandre à Actium » des limites de l’innovation et de l’industrialisation à l’époque hellénistique et romaine pointe l’importance du contexte socio-économique, aussi. Pour les grecs dont les intellectuels méprisaient les activités utilitaires et mécaniques, concevoir un modèle pour un usage optimisé des ressources n’était pas une source de réflexions envisageable et ce fût une grande limite à leur capacité d’innovation. Selon Peter Green « L'industrialisation, au sens que nous donnons à ce terme, était minime : les fabriques ne dépassèrent jamais le niveau de l'industrie artisanale, et la spécialisation était rudimentaire. L'économie, fondamentalement, resta constamment agricole, ses unités de production étant le paysan, le bœuf et l'âne ».La reproduction de poteries en série (voire d’armes en série) existait bien, mais elle n’atteignait pas à l’industrie à proprement parler car il s’agissait davantage de recopier artisanalement un modèle que de le dupliquer mécaniquement.

Certes, il pouvait y avoir une limitation de main d’œuvre, cette dernière étant utilisée essentiellement pour l’agriculture –indispensable à la substance et produisant davantage le minimum que du superflu mais la raison principale, argumentée par Peter Green dans son livre, était « qu’apparemment personne n’avait de raison valable d’essayer d’alléger le travail ou d’accroître la productivité ». Ainsi les grecs possédaient tous les éléments constituants de la machine à vapeur, connaissaient le vent, l’air chaud et la vapeur comme sources potentielles d’énergie mais « l'absence d'évolution, dans le domaine pourtant capital des sources d'énergie susceptibles de remplacer la force musculaire humaine ou animale, tenait à des raisons socio-économiques plus que technologiques. ». En d’autres termes, l’absence de « progrès » de type industrialisation chez les grecs est venu d’un obstacle épistémologique, un manque de motivation vis-à-vis des questions de rendement.

Le progrès naît dès lors quand l’innovation est en adéquation avec un système organisationnel et technique. Un changement progressif vers une idéologie technicienne et rationaliste, développée plus ou moins vite à des moments phares de l’histoire, entre le 16e et le 18e siècle, a accompagné le passage vers une société commerciale et industrielle. De nombreuses innovations ont certes supporté l’industrialisation du 19e siècle, mais elles poussaient sur un terreau socio-économique fertile.

L’obstacle épistémologique du modèle du « progrès industriel »

Une première phase des techniques d’industrialisation conduit à produire toujours plus, à obtenir grâce à des énergies d’origine fossiles plus de rendement à différents niveaux, en particulier, la mécanisation de l'agriculture a permis d'accroître des gains de productivité libérant de la main-d'œuvre pour d’autres activités. On rationalise le processus productif, on recherche l’efficacité optimale. De nombreux cycles de « destruction créatrices » au sens de Schumpeter, se sont ainsi succédé durant le 19e et le 20e siècle, à côté d’évolutions sociales et économiques, non sans crise et sans heurt. La logique de rendement, de production de masse, a conduit également à la société de consommation. La production et la consommation de biens n’étant plus liés à la seule subsistance, pour maintenir artificiellement un système fondé sur les ventes et achats de produits, il faut stimuler le désir d’acheter, au-delà de la seule satisfaction des besoins.

On achètera en masse dès lors que le produit ne sera pas perçu comme « de masse » mais adapté à un usage personnel, possible à personnaliser, représentatif – peut-être – d’un clan auquel on souhaite appartenir. C’est la signification qui est alors mise en avant (projetée pour ainsi dire), davantage que l’utilité.

Toutefois la production de masse nécessite des ressources. Il y a eu une première prise de conscience, après la pénurie d’après-guerre, qu’il pouvait manquer des matériaux nobles. Il devenait utile de trouver des solutions appropriées tout en continuant à satisfaire les fonctions attendues des produits. Ceci a conduit à l’analyse de la valeur et à introduire des composants parfois moins résistants. Tout simplement parce qu’en optimisant les différentes qualités désirables, en priorisant les fonctions du produit, la durabilité peut revêtir moins d’importance que le prix ou la simplicité d’utilisation. Dès lors, des équipements en évoluant deviennent moins résistants, tout en apportant d’autres fonctions ou en étant moins chers. Le mythe de l’obsolescence programmée devrait sans doute réfléchir à ce type de questions avant de conclure sur des complots industriels. Autrement dit, ce n’est pas parce que toutes les horloges ne donnent pas la même heure qu’il y a complot des horlogers.

Cela étant dit, la durabilité est devenue ces dernières années, une qualité de plus en plus indispensable, pas seulement selon le seul point de vue de la satisfaction client. Les ressources naturelles sont limitées et l’impact de l’industrie sur l’environnement, non seulement évident, mais catastrophique. Le modèle de croissance économique privilégiant une production suivie d’une consommation effrénée n’est plus envisageable avec des ressources non renouvelables et pas plus dans une conception de progrès avec un tronc éthique commun aux actions humaines.
Dès lors, l’environnement socio-économique est prêt pour une rupture dans le modèle.

La technologie est également là, avec des cycles d’innovation plus court, notamment dans le numérique. Une approche consumériste des produits – au sens initial du terme, c’est-à-dire la tendance pour les consommateurs à se réunir en mouvements ou en associations dans le dessein de défendre leurs intérêts – est de plus en plus supportée par la capacité individuelle à publier et diffuser de l’information au plus grand nombre sur Internet.

La société de l’information peut faire d’une part partiellement contrepoids à la société de consommation – en freinant l’usage abusif des données personnelles, en apportant de la distanciation par rapport aux illusions du marketing- et d’autre part faciliter un développement durable en aidant à une meilleure gestion de l’énergie (ne serait-ce qu’à travers le pilotage numérique des appareils électroménagers), des transports ( visioconférence ou achats en ligne, par exemple), voire en facilitant la réutilisation de produits par l’échange ou la revente d’occasions en ligne. Des systèmes d’information permettent de mesurer, d’analyser et de communiquer un ensemble d’indicateurs de « développement durable » et d’améliorer les impacts environnementaux et sociétaux des entreprises ou organisations.

Le passage de la vision consommateur à la vision client

Oui, mais …. L’information, c’est aussi un moyen pour cibler le consommateur, prédire ses comportements d’achats, apprendre encore mieux à toucher son désir de différenciation, produire l’illusion de l’unique pour un produit tout en restant dans la consommation de masse.

De plus, les systèmes d’informations reposent sur des supports matériels qui consomment une électricité non négligeable et la quantité de déchets électriques et électroniques associée ne l’est pas d’avantage. La multiplication de terminaux mobiles différents – avec peu de standardisation des câbles associés – et les cycles d’innovation, conduisent à de plus en plus de « jeter et remplacer » au niveau des postes de travail. Tandis qu’au niveau des applications la dure leçon des dernières années a été d’apprendre la réutilisation des composants, que les data-center, le cloud computing, tendent à consolider l’usage des serveurs physiques, n’assisterions nous pas au phénomène inverse pour les terminaux ? Certes, que l’employé utilise son (ou ses) terminaux personnels évitera qu’il les ait en double avec l’entreprise.

D’autre part, si les employés préfèrent leurs outils de travail « personnel », leur équipement à ceux de l’entreprise, c’est bien parce qu’ils répondent mieux à leurs besoins. Il ne s’agit pas ici d’un besoin de productivité, pas au sens rendement que ce terme a dans un modèle industriel. Il s’agit plus ou moins de confort intellectuel. Est-ce superflu ? Si vous pensez que la créativité, la capacité à aborder un problème, à faire preuve d’ingéniosité pour créer des solutions innovantes, à avoir les moyens de chercher une information sur un contexte (client, marché, ressource, technique, produit, méthode…) dans toutes les sources disponibles sont superflues, c’est le cas. Tant que le travail consiste à enchaîner des unités d’actions normées, reproductibles et qu’il n’y a pas d’utilité à créer une intelligence collective et à faire travailler ensemble des employés de culture – technique, fonctionnelle ou organisationnelle – différente, laisser les employés choisir leur équipement de communication est superflu.

Dans le cas contraire, il y a un besoin d’équipement adapté à une logique d’accès rapide à l’information, d’échange et de partage, en tous lieux et en toutes circonstances que les technologies actuelles rendent disponibles. C’est l’agilité dans la mise à disposition et l’exploitation d’information qui est en jeu, pas la productivité. Au final, cette agilité peut apporter des bénéfices certains, peut-être d’ailleurs avec moins de productivité sur certaines tâches et plus d’efficacité sur d’autres.
S’il y a un besoin existant auquel un produit répond simplement, à un coût jugé acceptable par les détenteurs de ce besoin, ces derniers ont des chances de devenir rapidement clients de ces produits.

Clients à la place de consommateurs, la différence est de taille. Elle porte sur le fait de subir une offre sans distanciation critique, sans possibilité de faire jouer la concurrence, ou de réclamer que l’offre s’adapte à des besoins réels, à un prix correct. Les employés d’une entreprise sont aujourd’hui encore plus ou moins consommateurs des postes de travail que leurs entreprises leur fournissent. C’est l’héritage d’une démarche unilatérale, où les solutions étaient choisies de manière centralisée – monarchique d’une certaine façon – démarche compréhensible dès lors que la compétence sur les solutions n’est pas partagée par tous. Mais quand les employés sont aussi matures que leur service informatique quant aux types de terminaux qu’ils peuvent utiliser et capables de les acheter à titre personnel, ce type de démarche est forcément remis en question à un moment ou un autre.

De la même manière, on peut faire le parallèle avec certains services métiers qui choisissent eux-mêmes une solution Saas pour leurs besoins. Ils sont suffisamment matures et les solutions existent. Avec les offres Saas (Software as A Service) et Cloud Computing, la DSI est attendue au tournant sur sa capacité à être réactive. Si l’organisation et la logique des DSI ne changent pas, elles risquent fort de disparaître au profit de solutions entièrement externalisées. Si les technologies ont conduit à ce stade, le problème de développement de nouveaux modèles n’est plus technique, il est organisationnel.

De la vision client à la prise en compte de toutes les parties prenantes

Dans tous les cas, l’équation est simple à énoncer, difficile à éviter. Au niveau des systèmes d’information, ou la DSI est capable de trouver des réponses efficaces et rapides en montrant une plus-value face aux offres externes, ou non. C’est un challenge à relever où il faut que la DSI s’inscrive en partenaire stratégique des autres directions de l’entreprise, voire vis-à-vis de tous les employés et non en simple fournisseur interne, ou « producteur » vis-à-vis de consommateurs non éveillés. Pour cela il faut qu’elle arrive à instaurer le dialogue entre tous les acteurs et à adapter ses propres processus, ne pas chercher à savoir faire, mais savoir comprendre le besoin, choisir et gérer au mieux la réponse.

C’est une démarche de client-fournisseur qu’il faut lancer, mais pas seulement. Certes, l’écoute client est la clé des dernières années pour le développement des solutions des SI. Cette écoute entre les départements métiers et le service informatique doit se répandre : écoute du client interne, écoute du client externe Le fait est que même de puissants éditeurs d’ERP envisagent aujourd’hui de changer leur modèle de développement en tablant sur la capacité de leurs propres clubs utilisateurs à « voter » les futures extensions fonctionnelles et aider à prioriser les roadmap produits.

On peut envisager le même type de vote au sein d’une entreprise pour l’équipement des employés. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’échelle de l’entreprise (de même qu’à l’échelle d’une société), les décisions doivent se faire en prenant en compte des contraintes diverses et le pluralisme des points de vue pour disposer d’une vision plus complète de l’organisation, de son contexte et des problèmes auxquels sont confrontés les différents acteurs. La diversité n’est pas un obstacle épistémologique, elle est au contraire la condition sine qua non pour être capable de répondre à un système complexe.

En ce qui concerne l’équipement des employés, nous voyons bien que si les choix d’outils peuvent être démocratiques, il reste la nécessité de disposer d’un système de décision spécifique pour des questions de sécurité (pour développer une plate-forme d’accès centralisée, pour protéger les données sensibles, par ex) ou de cohérence (applications accessibles, niveaux d’accès) et pour traiter de souci de développement durable sur l’ensemble de la chaîne (limiter les déchets par de la standardisation, par exemple, acheter uniquement auprès de fournisseurs éco-responsables, etc.). L’entreprise doit garder le contrôle de ses données numériques, de même qu’elle peut être aussi cliente et prescriptrice de solutions respectueuses de l’environnement plutôt que de laisser les équipements se multiplier sans contrôle et sans possibilité de réutilisation.

Aujourd’hui les technologies nous permettent d’atteindre d’une certaine manière à une hybridation de seconde génération entre l’industriel et l’artisanal. Nous avons la capacité de séparer et recomposer, donner de l’individualité au produit ou service numérique, tout en créant des composants de base de « masse », réutilisables à grande échelle. Nous avons aussi des capacités d’exploitation des données que nous n’avons jamais eu jusqu’alors, tout en devant faire face à une explosion monstrueuse des volumes et des dangers variés. Nous devons faire des choix entre créativité et contrôle et ces choix ne sont pas faits car nous n’avons pas mis les bons modèles de décision en face. Ce n’est pas une question de technologie, c’est bien une question de gouvernance.

La nécessité d’allier créativité et contrôle

La technologie est mature. Si les ressources naturelles diminuent, nous pouvons changer le modèle d’exploitation des ressources et limiter la consommation effrénée à travers plus de réutilisation.
Nous sommes capables de gérer une meilleure utilisation des ressources et une approche également plus éthique du rapport entre producteurs et consommateurs, tout en gardant une certaine cohérence dans l’évolution et les impacts « hors » entreprise, dans une approche environnemental globale. La question n’est donc pas essentiellement technologique mais socio-économique.
Si nous voulons un nouveau modèle dans la société d’information qui ne réplique pas les erreurs du modèle industriel et du modèle de société de consommation, ce n’est plus en termes de productivité, de producteurs, de consommateurs, voire même de clients qu’il s’agit de réfléchir, mais en termes de parties prenantes pour juger de la balance entre créativité – «valeur ajoutée » et contrôle – c’est-à-dire limitation des impacts indésirables.
Le producteur doit s’interroger sur la valeur-ajoutée de son produit pour le client – ce dernier, plus mature ne va pas se contenter de sirènes – le client n’étant plus un consommateur « passif », doit également s’interroger sur son propre rapport à la consommation, les conséquences pour également faire pression pour plus de standardisation, moins de déchets, une logique « éthique » sur l’ensemble de la chaîne.

Dans le cadre d’un système d’information, nous devons interroger la nature et la valeur de l’information qu’il convient d’exploiter et comment, pour être en mesure d’adapter le modèle de l’entreprise non à des contraintes de productivité, mais bien à des contraintes d’efficacité dans la proposition de services et l’usage des ressources. Que les employés soient en mesure d’influencer les choix stratégiques est la nouvelle donne d’un modèle où toutes les parties prenantes ont leur rôle à jouer dans la chaîne de valeur de l’entreprise. La « consumérisation de l’IT » peut être vue comme un moyen de vendre des équipements d’entreprise directement au consommateur final, ou comme une manifestation visible de l’évolution vers une société de l’information capable de réorganiser les pouvoirs de décision à tous les niveaux.

Ainsi la consumérisation de l’IT n’est pas une simple question de productivité. Elle est seulement, à l’échelle du choix des équipement individuels, le reflet de nouveaux systèmes de décision à mettre en place au niveau de l’entreprise avec les bonnes parties prenantes, pour aller vers une chaîne de valeur plus respectueuse des différents acteurs et pour allier créativité et contrôle.

L’esprit numérique

Ainsi que l’esprit des lumières souhaitait rompre avec l’obscurantisme intellectuel des années, voire des siècles précédents, et pousser les individus à penser par eux-mêmes, l’esprit numérique pourrait être une évolution dans l’exploitation d’une intelligence collective.

La capacité d’innovation en ce domaine serait dès lors liée à des modèles pluriels de gouvernance. Une entreprise n’aurait pas un modèle hiérarchique de décision adapté à toutes les situations mais une pluralité de systèmes de décisions selon à la fois les parties prenantes et la nature des décisions à prendre. La multiplicité et l’efficacité de ces systèmes de décision est rendue possible par les technologies de l’information, qui permettent à la fois d’accéder aux informations nécessaires à la prise de décisions et de partager ces informations de façon appropriée, donc de créer des systèmes de décision plus souples que par le passé.

Selon le cas, suivant que le système de décision tende à favoriser la créativité ou vise à renforcer le contrôle, les modèles types de gouvernance diffèreront. On peut les voir à la semblance d’archétypes politique comme le développe Peter Weill, c’est-à-dire monarchique au sens entièrement centralisé, féodal au sens dispersé dans des filiales autonomes, fédéralisé au sens qu’une partie des décisions est assurée par un système central et le reste par des divisions autonomes, etc. Les capacités d’écoute, d’adaptation et de décision de l’entreprise dépendent clairement de ces systèmes de décisions et de qui doit y collaborer. Selon Montesquieu la « liberté d’un peuple consiste à être gouverné par des lois et savoir que ces lois ne seront pas arbitraires », les lois sont nécessaires, mais encore faut-il se rappeler que << Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. >>. Il est donc indispensable de s’assurer que ce sont bien les parties prenantes qui ont un intérêt légitime dans la stratégie à mettre en place qui seront sollicitées et responsabilisées.

Il faudra pour les mettre en place identifier la finalité de chaque système, les inter-relations et compte tenu de la complexité de ces dernières, c’est une approche systémique qui doit prévaloir aujourd’hui, plutôt que l’approche cartésienne qui, si elle s’applique bien aux domaines compliqués nécessitant de l’expertise, s’applique mal aux domaines complexes. Or jusqu’à présent, dans l’ensemble des référentiels et des meilleures pratiques développés dans le domaine des systèmes d’information, c’est l’approche cartésienne qui domine.

L’obstacle épistémologique face au potentiel de la société de l’information est à minima de deux natures. Il faut quitter un point de vue modelé par une vision de « l’industrialisation » comme l’ultime progrès et l’approche cartésienne comme une solution à tout. Sinon, à regarder les évolutions du numériques sous le modèle industriel (utiliser de nouvelles techniques et ressources pour plus de productivité) et à oublier la complexité des inter-relations entre les enjeux de toutes les parties prenantes, l’esprit numérique ne sera qu’un oxymore et la consumérisation de l’IT, un argument marketing.


http://www.infodsi.com/tribune/123657/esprit-numerique-sabine-bohnke-fondatrice-cabinet-sapientis.html?key=

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