mardi 18 octobre 2011

Parler management, une gageure en France

18/10 | 07:00 | Muriel Jasor 
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Muriel JASOR
Muriel JASOR
Henry Mintzberg, l'un des dix penseurs les plus influents dans le monde des affaires, n'y va pas par quatre chemins. Pour lui, les principales causes de la crise qui secoue le monde ne résultent pas de facteurs économiques, mais de la façon dont les Américains gèrent leurs entreprises depuis des années (les Etats-Unis étant La Mecque du management). D'après lui, cette crise des entreprises prendrait sa source dans une conception absurde de l'efficacité, déterminée à coups de formules incantatoires et de fixations arbitraires de seuils à dépasser ou non (augmenter le chiffre d'affaires de 10 %, etc.). Il n'empêche. Par ces temps de crise, les économistes, banquiers et journalistes de tout poil font davantage entendre leurs voix que les experts en management. Pourquoi ? « Parce qu'il est compliqué de parler d'une manière synthétique et intelligente de management », avance Michel Berry, chercheur en gestion à l'Ecole de Paris du management. « Il y a une telle diversité dans la façon de bien gérer une entreprise ! Sauf à caricaturer les choses en deux ou trois formules, ce n'est pas demain la veille que les experts en management se retrouveront, aux heures de grande écoute, sur les plateaux de télévision. » Résultat : les économistes (« conseillers des princes ») et les financiers sont largement plus médiatisés que les spécialistes du management. Les autres raisons ?

Discipline encore jeune

Un, l'économie et la finance touchent plus directement le quotidien des gens. Deux, l'une et l'autre de ces disciplines se mettent en modèle mathématique et sont donc plus faciles à généraliser, voire à mondialiser. Trois, « le Cercle des économistes n'a pas d'équivalent sur le terrain du management », relève Rodolphe Durant, professeur de stratégie et de politique d'entreprise à HEC Paris. « Le management, qui relève de praticiens, est encore une discipline jeune qui se structure. Elle n'a pas de paradigme établi, contrairement aux sciences économiques. » Enfin, une grande partie du monde académique, le nez dans ses recherches ésotériques, reste très déconnectée du terrain. Ajoutons que si les économistes, agences de notation, et financiers parlent davantage en ce moment, c'est aussi parce qu' ils ont été les agents de la crise actuelle. « La responsabilité de la crise incombe en effet aux managers de ces institutions financières », acquiesce Didier Toussaint, consultant et docteur en philosophie. « Il ne s'agit pas d'une crise du capitalisme mais de son administration ! »
Pour Philippe Masson, ancien du cabinet McKinsey et cofondateur de MyDevelopmentPro, il est temps de revenir aux fondamentaux que cache la crise économique : les questions relatives à la gouvernance des systèmes, des marchés, des entreprises. « Les modèles économiques sont utiles mais on ne peut plus s'en contenter. Ils sont pratiques comme des avatars, ils autorisent certaines expéri mentations mais rappelons qu'ils ne correspondent en rien à la réalité. » Une bonne raison pour remettre le management sur l'avant-scène. « Mais cette discipline est, au mieux, considérée à part ; au pire, source de tous les maux », remarque Olivier Badot, doyen « Recherche » à l'ESCP Europe et professeur à l'université de Caen. « Elle est le plus souvent vue comme une machine qui ne participe pas au bonheur collectif ou bien qui risque de l'entraver », note Eric Gervet, managing partner chez ATKearney à Paris.

Pratique ou science ?

Le management, pratique ou bien science ? Le débat n'est toujours pas tranché, mais « la vie intellectuelle à son sujet est réelle, même restreinte à un cercle limité », observe André-Benoît de Jaegere, vice-président chez Capgemini consulting et président du jury du prix Syntec-Conseil en management.
A coups de publications d'articles, d'organisation de conférences (via l'Ecole de Paris du management, l'Association du progrès du management, les entretiens de Valpré, etc.), la discipline management s'installe peu à peu dans les esprits. « Rares toutefois sont les ouvrages de la qualité de Stratégie océan bleu de Chan Kim et Renée Mauborgne », remarque Jerôme Couturier, professeur de stratégie et de management à l'ESCP Europe, qui entend coécrire un livre sur le sujet en langage de tous les jours. Le plus souvent, les ouvrages sont incompréhensibles ou bien livrent des tuyaux navrants. « Cela fait beaucoup de mal aux dirigeants - notamment les DRH -de croire qu'il existe des recettes pour tout », assure Didier Toussaint.
« L'Ecole de Paris du management fait dialoguer des a cteurs du management avec des chercheurs. Cela débouche sur des histoires éclairantes », souligne Michel Berry en indiquant que le site Web de l'Ecole de Paris du management fait l'objet de 250.000 téléchargements par an. Les grandes écoles s'activent elles aussi, comme à HEC, où Rodolphe Durand a créé le centre de recherche « Société et Organisations », un espace de réflexion. Autant d'initiatives qui se heurtent toutefois à un fort frein culturel, qui tend, en France, à cantonner le management et l'univers de l'entreprise à un cercle de spécialistes.
MURIEL JASOR, Les Echos
 
 http://www.lesechos.fr/management/0201693229607-parler-management-une-gageure-en-france-234965.php?xtor=EPR-1500-%5Bmanagement%5D-20111018-%5Bs%3D461370_n%3D5_c%3D500_%5D-409905656%401

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