jeudi 28 juin 2012

L'innovation en France : un système en échec

A lire sur:  http://www.tnova.fr/note/linnovation-en-france-un-syst-me-en-chec


Note Par Nicolas Von Bülow.
Le 01/06/2012

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La France ne produit plus de grandes entreprises innovantes depuis 40 ans. Restée à l'écart de l'émergence des nouvelles générations de hautes technologies, elle est aujourd'hui en retrait d'une part importante de l'innovation contemporaine, processus qui reste essentiel dans le développement et la croissance. Cette note, appuyée sur un rapport détaillé, dresse le constat de l'échec du système français, et met en évidence l'importance du développement à long terme d'un "écosystème innovant", impossible à fabriquer de toutes pièces, mais dont les conditions d'émergence peuvent être créées par une nouvelle politique de l'innovation touchant à la fois l'enseignement supérieur et la recherche, le financement de l'innovation, le cadre fiscal et juridique, les politiques de clusters et de pôles de compétitivité.

Synthèse

 
Le constat
 
La France a pris un retard considérable depuis une quarantaine d’années sur les sujets liés à l’innovation. Le pays a en particulier manqué l’émergence puis « l’explosion » des nouvelles générations de hautes technologies. Les indicateurs macro-économiques traditionnels confirmant cette tendance sont nombreux mais insuffisants pour permettre d’identifier les causes structurelles de ce retard. La présente note s’attache à examiner les données micro-économiques liées à l’innovation, tant au niveau des entreprises que de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’ensemble des institutions engagées dans le système innovant. Cette analyse est suivie d’un ensemble de recommandations.
 
Une étude comparée des grandes entreprises innovantes sur trois pays (France, Allemagne, Etats-Unis) montre que la France ne produit plus de grandes entreprises innovantes depuis 40 ans, au contraire notamment des Etats-Unis qui sont désormais à l’origine de la quasi-totalité des grandes sociétés innovantes du monde occidental dans le secteur High Tech. Leurs caractéristiques essentielles (jeunesse des sociétés, intensité en R&D, concentration aux Etats-Unis, capitalisation boursière de ces entreprises 100 fois supérieure aux Etats-Unis par rapport à la France…) démontrent certains des points faibles de la France.
 
Parallèlement, l’analyse de l’enseignement supérieur et de la recherche montre que le système d’enseignement supérieur français est lui aussi dans une situation très difficile. Il parait inadapté, pauvre, fragmenté et surtout isolé, ce qui le rend très difficilement apte à jouer son rôle dans une économie dominée par la concurrence internationale des systèmes innovants :
 
-          Ses établissements, les universités en particulier, en deçà du seuil critique par leur taille et leurs ressources, ne sont pas reconnus sur le plan international.
-          Les moyens financiers déployés par le pays (fonds d’origine privée et publique) pour ses étudiants du supérieur sont 2,5 fois plus faibles qu’aux Etats-Unis. Par ailleurs, la capacité d’investissement des universités américaines est considérable en comparaison, notamment au travers de leurs « endowments » et fondations.  
 
La notion de « système innovant »
 
L’innovation étant un processus à la fois collaboratif et stochastique, elle doit s’inscrire dans le temps et permettre l’émergence d’un milieu, d’un écosystème innovant complet et compétitif sur le plan international. La note tente de répondre à cette problématique en s’appuyant sur quatre constats :
 
-                    L’innovation est un processus complexe, de nature fondamentalement systémique ;
-                    Un système innovateur est un ensemble hétérogène d’entreprises, d’individus, d’organisations de recherche, d’universités, de prestataires de services, d’investisseurs et d’administrations. Les grands écosystèmes innovateurs s’appuient sur des dynamiques vertueuses de fertilisation croisée, d’attractivité croissante pour les entreprises, la recherche, les individus. Ces systèmes se caractérisent par une surconcentration de ressources ;
-                    La vitalité des systèmes innovants est un enjeu national considérable. A titre d’illustration, 21 % du PIB américain est aujourd’hui réalisé par des entreprises ayant été financées par le capital-risque. Ce chiffre est proche de zéro en France.
-                    Le système universitaire et les laboratoires, le savoir et les détenteurs du savoir, sont des acteurs clés dans un contexte de compétition internationale sur l’innovation.
 
C’est sur ce système, et sur les équilibres qu’il requiert, qu’il convient donc de raisonner et de travailler.
 
Recommandations
 
L’écosystème innovant est, selon nous, au cœur du déficit français. Il est, par essence, impossible à « fabriquer », il ne peut que résulter d’un réseau de relations et de dépendances que ses acteurs constituent au cours du temps. Tout surcroît d’intervention directe et brutale de l’Etat en la matière serait peine perdue, voire destructeur. Il est possible de poser quelques principes généraux d’une nouvelle politique de l’innovation, adaptée à la situation française :
 
-                    Une ambition de fond, transformatrice – et non une simple volonté « d’ajustement » ;
-                    Une politique de long terme ; à ce titre, la stabilité fiscale, légale et règlementaire est essentielle aux processus innovants dans la mesure où ces derniers s’appuient principalement sur le capital humain, les réseaux informels et les institutions ;
-                    Une approche concentratrice: la France n’est pas d’une dimension économique suffisante pour pouvoir concilier saupoudrage, aménagement du territoire égalitaire, et taille critique internationale sur les grands sujets innovants.
 
Partant de ces principes, les recommandations présentées concernent à la fois l’enseignement supérieur, le financement de l’innovation, le cadre fiscal et juridique, et les politiques de clusters et de pôles de compétitivité.
 
Concernant les universités et la recherche, sont notamment abordés :
 
-                    La nécessité d’un transfert massif de financement en direction du système d’enseignement supérieur.Un tel transfert nous semble devoir être en part importante supporté par le secteur privé ; 
-                    La nécessité d’accélérer et rénover les fusions et regroupements d’établissements, en ciblant taille, multidisciplinarité, et lien recherche/formation et l’émergence de 5 ou 6 pôles d’excellence à court-moyen terme ;
-                    La nécessité de renforcer très nettement le lien recherche-formation.
 
Concernant le financement de l’innovation, le capital-risque et les fonds d’investissements :
 
-                    De façon générale, un objectif ambitieux mais réaliste pourrait être de faire de Paris LA place du Private Equity en Europe. Le financement de l’innovation pourrait y jouer un rôle important. Ceci implique une approche de ce thème par une logique de « place », et donc une politique coordonnée (cadre juridique, attractivité, ouverture…)
-                    Assurer la stabilité des systèmes fiscaux et règlementaires dans le domaine du financement en capital de l’innovation (éviter les interventions politiques permanentes en matière de contraintes d’investissements, outils de long terme et non de régulation conjoncturelle) ;
-                    Eviter que ces mêmes outils fiscaux soient une source de déstabilisation de l’industrie du financement en capital des entreprises innovantes françaises dans son ensemble ;
-                    Favoriser l’émergence de fonds technologiques de taille importante, face à un ensemble français de plus en plus fragmenté et centré sur l’amorçage ;
-                    Favoriser l’investissement dans les thématiques les plus complexes, fondamentales en termes de maîtrise technologique, mais moins aisément finançables pour des fonds d’investissements.
 
Concernant les pôles de compétitivité, la politique publique semble globalement très inadaptée, même si certaines de ses composantes sont à retenir. En substance, la politique actuelle semble davantage procéder d’une variante de la politique d’aménagement du territoire, associée à une approche très administrative. Nous suggérerions, entre autres, de :
 
-                    Cibler une politique de surconcentration et non de saupoudrage : l’échelle actuellement retenue est trop restreinte et micro-régionale. Il conviendrait de raisonner sur deux régions au plus, avec une ambition mondiale. Ile-de-France élargie et Sud élargi seraient les candidats naturels ;
-                    Corriger la fragmentation importante des thématiques, qui semble contreproductive ;
-                    Supprimer autant que possible l’échelon administratif du pôle et favoriser l’émergence des groupes auto-constitués, sans participation publique trop directe.
 
Concernant la fiscalité, l’environnement juridique et les politiques de soutien à la R&D et à l’innovation, les recommandations portent avant tout sur les objectifs de stabilité fiscale et de sécurité juridique pour les entreprises, les investisseurs et les individus. Les axes complémentaires comme un Small Business Act visant à améliorer l’environnement économique et les relations entre grands groupes et petites et moyennes sociétés innovantes pourrait jouer un rôle important dans le développement vertueux de l’écosystème innovant français.
 
Enfin, la création d’un Centre national de l’innovation est suggérée. L’idée n’est pas de façonner un nouvel établissement bureaucratique, mais de créer les conditions de possibilité d’une analyse critique et permanente du système innovant via la collecte de données, le benchmarking international, la mesure de performance ; l’objectif final serait la contrôle et l’aide à la décision. 
 

 

Note intégrale

 
L’objet de cette note, appuyée sur un rapport plus global sur l’innovation, est de présenter la problématique de l’innovation en France[1] , par un état des lieux, un exercice de comparaison internationale, et un effort de qualification des enjeux, à notre sens considérables, de cette thématique.
  

1 - Etat des lieux de l’innovation en France

 

1.      1 - L’insuffisance des données macro-économiques traditionnelles

Les données macro-économiques françaises portant sur la Recherche et Développement (« R&D ») et l’innovation sont connues : la Dépense Intérieure en Recherche et Développement (« DIRD ») rapportée au PIB y était de 2 % en 2008, contre 2,3 % en moyenne dans l’OCDE. La France est très en deçà de pays comme le Japon (3,4 %), ou les Etats-Unis (2,8 %) et l’Allemagne (2,6 %). Plus inquiétant encore, la France fait partie des très rares pays à avoir vu leur ratio de R&D diminuer sur 10 ans. Bien que moins conclusives, les statistiques liées à la production de brevets sont tout aussi inquiétantes, avec des ratios deux et trois fois inférieurs à l’Allemagne et au Japon.
 
La France a incontestablement pris un retard considérable depuis une quarantaine d’années sur les sujets liés à l’innovation, essentiellement parce que le pays a manqué l’émergence puis « l’explosion » des nouvelles générations de hautes technologies. La France n’est pas isolée en Europe dans ce domaine, mais sa situation semble néanmoins particulièrement fragile.
 
Toutefois, ces indicateurs macro-économiques « traditionnels » nous paraissent insuffisants pour permettre d’identifier les causes structurelles du retard pris par la France en matière d’innovation. Il s’agit en effet de poser la question des déterminants de cette situation d’un point de vue micro-économique au travers d’une grille de lecture qui doit, quant à elle, être systémique – c'est-à-dire du point de vue des principaux agents de l’innovation et de la nature des relations entre ces derniers.
 
 

1.      2 - La situation des principaux acteurs de l’innovation en France

 
1. 2. 1 - Les entreprises
 
En premier lieu, si l’on compare, le tissu d’entreprises fortement innovantes, au sens de leurs dépenses de R&D, en France, en Allemagne et aux Etats-Unis.il en ressort les éléments suivants :
 
·         Pour les grandes entreprises innovantes (ici, celles dont les dépenses de R&D étaient supérieures à 100 millions d’euros en 2009) : la R&D y est réalisée, dans le cas américain, à plus de 70 % par des entreprises du secteur « High Tech »[2], alors qu’en Allemagne c’est à 80 % le secteur « Industrie » qui est producteur de R&D. La France est dans une situation intermédiaire (57 % High Tech, 30 % Industrie) ;
 
·         En corrélant par la suite « l’intensité d’innovation » (i.e. ratios : R&D / employé ou R&D / chiffre d’affaires) à la date de création des entreprises[3], les résultats sont édifiants : la France ne produit plus de grandes entreprises « innovantes » depuis 40 ans, si ce n’est par fusions et rapprochements industriels. L’Allemagne est dans une situation comparable qu’elle compense partiellement du fait de sa forte spécialisation dans les industries à très fort niveau technique et très haute valeur ajoutée. A l’autre extrémité du spectre, les Etats-Unis sont désormais à l’origine de la quasi-totalité des grandes sociétés innovantes du monde occidental dans le secteur « High Tech ».
 
·         Une étude sur ces trois pays[4] démontre par ailleurs que :
 
i)       plus les entreprises sont récentes, et particulièrement à partir des années 1970, plus leur intensité en R&D est forte ;
ii)      cette corrélation est particulièrement forte pour les entreprises américaines, les grandes entreprises françaises et allemandes n’atteignant pas les strates élevées d’intensité en R&D ;
iii)     le secteur High Tech est globalement beaucoup plus intensif en R&D que l’Industrie (les autres secteurs étant comparativement peu innovants) ;
iv)     parmi les grandes entreprises créées depuis 1970, les grandes entreprises américaines représentent 85 % des dépenses de R&D[5] ;
v)      enfin, il apparaît que cette tendance va en s’accélérant sur les dernières décennies (les entreprises américaines sont de plus en plus innovantes, a contrario des françaises).
 
·         Les quatre dernières décennies ont vu l’émergence de 3 entreprises allemandes, 4 entreprises françaises et 82 entreprises américaines dont les dépenses de R&D dépassent aujourd’hui 100 millions d’euros. Pour la France, ces sociétés étaient collectivement responsables de moins de 1 milliard de R&D en 2009 contre 43 milliards pour les sociétés américaines.
 
·         La capitalisation boursière cumulée (date 2009) des grandes entreprises des segments clés que sont les technologies de l’information et les biotechs atteignait 1.006 milliards d’euros aux Etats-Unis contre 10 milliards en France… En décembre 2010, la capitalisation boursière d’Amazon était 10 fois supérieure à celle de PSA, et celle d’Apple 45 fois supérieure à celle d’Alcatel-Lucentou de Thales.
 
En second lieu, dans le prolongement des observations précédentes, nous avons étudié les grands ratios économiques d’un échantillon d’entreprises sélectionnées parmi les « grands innovateurs nationaux » français, allemands et nord-américains couvrant les principaux secteurs innovants, à savoir : les secteurs de la High Tech (surreprésentés aux Etats-Unis), des industries technologiques (Aéronautique et Défense) et de l’automobile (secteur dominant en Allemagne et fortement représenté en France)[6]. Il ressort de cette étude que :
 
·         Le secteur High Tech américain présente des taux de croissance et de marge brute extrêmement élevés. Les grands innovateurs européens croissent quant à eux nettement plus lentement, ou déclinent.
 
·         Le secteur High Tech américain et l’industrie allemande ressortent comme de grands contributeurs aux budgets nationaux en termes d’Impôt sur les Sociétés (« IS »), au contraire des champions de l’innovation français comme Renault, PSA ou Alcatel. A titre d’exemple, sur les trois dernières années, l’IS cumulé de Google a été de 4,2 milliards d’euros contre 3,4 milliards d’euros pour Daimler. Ceci infirme l’idée souvent avancée selon laquelle les groupes fortement technologiques seraient plus « instables » : c’est le contraire qu’on observe, du moins pour les plus grands et les « pure players », c'est-à-dire non issus de fusions industrielles défensives. Ils présentent un profil de rentabilité particulièrement favorable et apparemment durable, et paient beaucoup d’impôts.
 
·         Les groupes technologiques de l’échantillon, surtout américains, sont extrêmement concentrés dans leur pays siège en termes d’emplois (+ de 60 %, voire plus de 80 %). Leur propension à être fortement globalisés ne signifie pas que leurs employés le sont également. La délocalisation industrielle est bien évidemment essentiellement le fait des groupes ayant de grandes unités de production, mais il s’agit également d’une donnée fondamentale du secteur High Tech : l’activité y est très concentrée près du siège, car la R&D y joue un rôle essentiel.
 
 
1.        2. 2 - La recherche et l’enseignement supérieur
 
Une analyse d’ensemble des principales caractéristiques du système d’études supérieures français, dans une perspective de comparaison internationale, était évidemment impossible. Il nous semblait néanmoins nécessaire d’aborder ce sujet du fait de son rôle déterminant dans le « système innovateur » national[7] d’une part, par la formation des étudiants tant dans les disciplines scientifiques que de gestion, lesquelles constituent les viviers de ressources humaines essentielles aux entreprises, investisseurs et administrations jouant un rôle dans le système innovant et, d’autre part, dans la recherche fondamentale et appliquée réalisée au sein des universités et des écoles, et des laboratoires qui leurs sont liés.
 
Un constat s’impose : le système d’enseignement supérieur français est dans une situation très difficile, en particulier au regard des caractéristiques suivantes :
 
·         Ses établissements, et les universités en particulier, ne sont pas reconnus sur le plan international. Ils sont en-dessous du seuil critique par leur taille et leurs ressources ; dans le cas des établissements d’excellence, particulièrement importants en matière d’innovation, ils sont d’une dimension très insuffisante et disposent de moyens négligeables en comparaison internationale. Si sur le plan du nombre de doctorats attribués par an, les quelques très grandes universités françaises présentes dans le classement de Shanghai ont des caractéristiques raisonnablement proches des leurs consœurs américaines, les grandes écoles affichent elles un nombre bien plus faible de doctorants – l’ENS Lyon,l’ENS Paris, Polytechnique, Centrale Paris et les Mines de Paris délivrant toutes moins de 100 doctorats par an.
 
·         Les universités américaines, en particulier les plus prestigieuses, emploient, en plus des doctorants, un nombre considérable de post doctorants et d’effectifs de recherche : les 20 premières universités américaines du classement de Shanghai employaient en 2009 une moyenne de 1.100 post-doctorants par établissement (5.000 pour Harvard). A titre de comparaison, l’UPMCen emploie 420 dont 170 en propre (le solde sous tutelle du CNRS), et 400 pour l’Université de Strasbourg.Les grandes écoles sont quant à elles encore moins outillées, d’au moins un ordre de grandeur (entre 50 et 120 post-doctorants).
·         La situation américaine se caractérise par deux types d’établissements : les grandes universités (publiques) de formation, où le poids de la recherche est similaire à la France, et les grandes universités de recherche, les plus prestigieuses, comme Harvard, Stanford, le MIT, Caltech ou Yale, dont la capacité de recherche et de formation à la recherche est sans commune mesure. En réalité, c’est le centre de gravité lui-même de ces universités qui est bien plus proche de la recherche que dans le système français tel qu’il est structuré aujourd’hui. C’est cette aptitude à cumuler un impact considérable en termes de formation et de recherche (chercheurs à proprement parler et formation doctorale) qui leur permet de jouer un rôle central dans le système innovant nord-américain.
 
·         Une force de frappe en matière de recherche très limitée au sein des grandes universités françaises. Les données de l’OMPI[8] ne donnent aucune institution universitaire ou école française parmi les 50 premiers déposants internationaux de brevets d’origine universitaire[9] ; de façon similaire, le classement du journal Nature révèle qu’aucune université française n’est présente parmi les 50 premiers contributeurs au journal, le CNRS étant lui-même (malgré son caractère centralisé) en seconde position, derrière Harvard. 
 
·         Une très faible interdisciplinarité dans les grands établissements. Il convient en particulier de relever que les ingénieurs, les chercheurs et les étudiants en management ne fréquentent dans l’ensemble pas les mêmes établissements ; le statut particulier des écoles d’ingénieurs accentue encore cette situation.
 
·         Les moyens financiers déployés par la collectivité française (fonds d’origine privée et publique) pour ses étudiants du supérieur sont 2,5 fois plus faibles qu’aux Etats-Unis.  L’écart est de surcroît grandissant, dans un contexte de besoins de financement de plus en plus importants pour la recherche, et de compétition internationale accrue pour la formation. Par ailleurs, la capacité d’investissement des universités américaines est considérable, notamment au travers de leurs « endowments » et fondations. A titre d’exemple, même au lendemain de la crise de 2009, les actifs détenus par Harvarddépassaient 26 milliards de dollars, devant Yale (16 milliards) ou le MIT (8 milliards).
 
·         Des structures d’essaimage et d’incubation très insuffisantes, peu expérimentées, et des liens avec le privé encore très faibles. Ceci est renforcé par des clivages culturels encore très forts entre le « privé » et le « public », et le cloisonnement qui en résulte.
 
En conclusion, le système d’enseignement supérieur et de recherche français semble extrêmement inadapté, pauvre, fragmenté et surtout isolé, ce qui le rend très difficilement apte à jouer son rôle dans une économie dominée par la concurrence internationale des systèmes innovants.
 
 
 

2 - Réflexions sur la notion de « système innovant »

 
Afin de pouvoir envisager des propositions concrètes pour enrayer le déclin de la France en matière d’innovation, il faut se pencher sur les conditions dans lesquelles des entreprises innovantes High Tech si dominantes à l’échelle planétaire ont pu émerger (aux Etats-Unis en particulier) tout au long de ces quatre dernières décennies[10]. Il convient d’abord d’observer à quel point cette croissance remarquable et pérenne du secteur High Tech y est extrêmement localisée, à l’échelle du territoire nord-américain, dans des régions qui se distinguent par leur dynamique d'innovation (Silicon Valley, région de Boston, etc.). Ces régions ont en commun avec leurs équivalents mondiaux (Israël, région de Hong Kong/Shenzhen, Singapour…) de présenter une forte concentration des acteurs et facteurs déterminants de l’innovation, à savoir :
 
·         concentration croissante des activités de recherche et de développement ;
·         concentration par la taille des entreprises de ces régions, par leurs avantages concurrentiels et leur « aptitude » au leadership mondial ;
·         concentration des équipes, tant au niveau recherche et développement qu’en termes de savoir-faire de « management » ;
·         concentration, très locale le plus souvent, des moyens de financement de l’innovation (fonds d’investissements, « corporate venture ») ;
·         concentration des ressources universitaires et de laboratoires de recherche ;
·         incidemment, ces formes de concentration conduisent également à une concentration des opérations financières (fusions-acquisitions) entre entreprises de ces régions, qui renforcent encore ce cercle vertueux en permettant aux groupes d’atteindre de plus en plus rapidement une taille critique, voire dominante, sur leurs marchés.
 
De manière générale et par extrapolation, les approches évolutionnistes fondées sur la notion clé de « système innovateur local » nous paraissent ainsi les plus à même de fournir les outils d’analyse nécessaires à la compréhension de l’innovation. L’innovation est en effet le produit d’un milieu donné, voire d’une superposition de milieux interdépendants. Les facteurs liés à la proximité (géographique et culturelle) y jouent un rôle considérable, car une grande partie des relations en jeu sont de nature informelle et désorganisée (au sens d’une absence d’organisation systématique et préalable). Il s’agit donc d’une lecture systémique de l’innovation, dans laquelle les phénomènes de cercles vertueux et d’auto-renforcement expliquent l’avance croissante et pérenne de certains milieux (et régions) par rapport aux autres.
 
En somme, l’innovation est un processus à la fois collaboratif et stochastique. Elle s’inscrit dans le temps. Dès lors, la performance d’un milieu innovant donné se retrouve dans son aptitude à rendre ce processus à la fois répétitif et durable. Du point de vue d’une politique économique, il nous semble que c’est ici que réside la problématique clef de l’innovation : comment assurer à la fois sa production systématique et sa valorisation économique locale (synonyme d’entreprises, de valeur ajoutée et d’emplois), c'est-à-dire comment permettre l’émergence d’un milieu, d’un écosystème innovant complet et compétitif sur le plan international ?
 
 

3 - Quelle politique de l’innovation pour la France ?

 

3. 1 - Quatre objectifs pour une politique de l’innovation à la française

 
La France a pris un retard considérable depuis une quarantaine d’années sur les sujets liés à l’innovation, et sa situation est aujourd’hui particulièrement fragile. Or, l’innovation est un domaine particulièrement capitalistique, sur le plan financier mais plus encore sur le plan du capital humain. L’aptitude à produire à intervalle régulier des entreprises comme Google, Intel, Cisco, Amgen, VMware ou Microsoft, mais aussi l’univers des sociétés de taille intermédiaire, très fortement innovantes et à croissance élevée, nous semble de l’ordre d’un impératif de survie pour l’Europe et pour la France ; ces groupes concentrent en effet une quantité rapidement croissante de compétences, de technologies, d’informations et de valeur ajoutée que leurs pendants français ne peuvent reproduire. Ils ont ainsi un rôle d’entraînement essentiel pour leur environnement (dynamisme économique, organisationnel, etc.) et contribuent à briser en permanence les rentes de situation d’acteurs installés. Dans un contexte de mobilité internationale croissante des compétences et de concentration des flux économiques au sein de ces sociétés, la menace à moyen et long terme nous paraît dès lors extrêmement importante. 
 
Même si le constat est brutal, il nous semble que la France, et ses pouvoirs publics en particulier, ont dépensé une énergie et des ressources considérables dans une politique industrielle centrée sur quelques « filières » et leurs grands groupes, afin de tenter d’asseoir pour ces derniers une « masse critique » suffisante à l’échelle internationale. Qu’il s’agisse des grandes fusions pilotées ou encouragées par l’Etat, des privatisations, de la concentration des financements publics, du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) ou des aides diverses et variées à ces grandes entreprises ou grands projets, tous ces choix incarnent une certaine approche de la politique économique qu’il faut bien qualifier de « mécano industriel ». Les groupes se font et se défont, essentiellement issus de structures très anciennes, fusionnées ou accolées les unes aux autres, selon une lecture encore largement planificatrice de l’économie et de l’innovation. Or, le résultat des courses sur le terrain des entreprises, est, concernant l’innovation, particulièrement pauvre… L’industrie française ne dispose ni de la granularité industrielle allemande, concentrée sur des produits à très forte valeur ajoutée, très techniques, ni de la profondeur technologique américaine.
 
Les Etats-Unis sont très largement pris en exemple, principalement parce qu’en matière de hautes technologies, la position américaine est si dominante et résiliente qu’elle fait référence dans le monde entier. Il nous semble que si nous devions retenir une caractéristique décrivant la situation américaine, il s’agirait de la suivante : les secteurs de hautes technologies se présentent comme un continuum extrêmement dense de sociétés de toutes tailles, liées entre elles, partageant des ressources humaines très mobiles ainsi que des moyens financiers, y compris avec leurs partenaires clefs que sont les laboratoires et les universités d’une part, les sources de financement, d’autre part. Cet écosystème est, selon nous, au cœur du déficit français. Il est, par essence, impossible à « fabriquer », il ne peut que résulter d’un réseau de relations et de dépendances que ses acteurs constituent au cours du temps. Toute intervention directe et brutale de l’Etat en la matière serait peine perdue, voire destructrice.
 
Dès lors, quels pourraient être les objectifs clefs d’une politique de l’innovation en France ?
 
·         Faire émerger des pôles de recherche de taille internationale. La capacité de recherche fondamentale reste forte en France mais la concentration doit se poursuivre ; la taille des institutions de recherche est un élément clé, mais elle doit s’accompagner d’une augmentation très significative de leurs moyens financiers. Comparer Harvard ou le MIT à la Sorbonne ou Polytechnique n’a aucun sens. Leurs moyens, leurs ressources humaines et leur rayonnement sont sans commune mesure.
 
·         Rendre les principaux acteurs de l’innovation attractifs pour les individus (« attirer les talents »), financièrement notamment, en particulier dans la recherche et les entreprises technologiques.
 
·         Organiser/faciliter les transferts entre la recherche, l’université et les entreprises : le sujet est récurrent, ancien, et a été largement abordé. Il nous semble qu’il revêt deux réalités concurrentes : i) organisationnelle : ancrer durablement les relations entre la recherche, les universités françaises et les entreprises sur le territoire paraît une question de survie, et le moyen efficace pour conserver une partie de la valeur créée sur le territoire ; ii) humaine : la dichotomie public-privé est profondément ancrée dans la société française ; aux yeux d’une grande partie de la société française, elle recouvre à la fois des systèmes d’appartenance culturelle et de valeurs opposés. Cette politique des « équipes de foot » (les bleus contre les rouges…) est non seulement contre-productive mais destructrice si l’on souhaite favoriser l’échange et la mobilité des individus.
 
·         Favoriser l’émergence d’entreprises de moyenne et de grande taille, pérennes, dans le secteur High Tech :
 
-         Les grands groupes technologiques, notamment ceux ayant émergé dans les quarante dernières années, sont des moteurs essentiels de l’innovation. Ces entreprises sont des investisseurs massifs et l’essentiel de leurs compétences clefs (management senior, R&D, marketing…) sont le plus souvent très concentrées dans le pays siège, celui de leur création. Ces entreprises sont donc un fort facteur de stabilité pour l’innovation dans leur pays de création, voire pour leur région de création.
 
-         Pour permettre à ces grands groupes d’émerger, il est donc essentiel que les sociétés High Tech de taille moyenne fassent durablement surface et en grand nombre. La puissance du secteur technologique américain vient de ces milliers de sociétés de 50 à 500 millions de dollars de chiffre d’affaires, cotées ou non, dans une certaines mesure équivalentes au mittelstand allemand dans le domaine industriel. Ce sont ces sociétés qui manquent en France à court et moyen terme. La comparaison Euronext/Alternext avec le NASDAQ est, à ce titre, consternante.
 
Tous ces objectifs, ajoutés les uns aux autres, peuvent susciter l’angoisse, voire le renoncement. La tache est immense et peut paraître impossible. Néanmoins, il nous semble qu’un travail de fond sur certains paramètres clefs du « système » devrait permettre, sur le moyen terme, de replacer la France dans une dynamique de rattrapage, voire de leadership sur certains sujets.
 
L’horizon est le passage de stratégies purement défensives à une dynamique vertueuse comme elle s’observe dans d’autres régions du monde. La condition, comme nous l’avons déjà dit, est de ne pas céder, de nouveau, aux tentations du « mécano industriel » et d’accepter que l’innovation ne peut être produite ou planifiée, mais que le rôle d’une politique de l’innovation est de s’assurer des conditions de possibilité nécessaires à son émergence.
 
 

3. 2 - Recommandations

 
3. 2. 1 - Les principes généraux
 
Avant d’entrer dans les détails de quelques recommandations, arrêtons-nous sur quelques principes généraux qui nous paraissent essentiels à une politique de l’innovation en adéquation avec la situation française :
 
·         Une ambition de fond, transformatrice : la situation française appelle une réforme fondamentale des comportements et de modes d’intervention. De simples ajustements seront inévitablement insuffisants : une rupture est nécessaire.
 
·         Assurer la stabilité fiscale, légale et règlementaire : de par sa nature et son organisation, l’innovation, plus encore que d’autres sujets, est particulièrement sensible aux changements de règles du jeu. Elle s’appuie essentiellement sur du capital humain, des réseaux informels, des institutions en situation de concurrence internationale extrême, tout cela dans un contexte d’incertitude fondamentale.
 
·         Une politique de long terme, visant à faciliter l’émergence de collaborations continues entre les grandes familles d’institutions impliquées dans l’écosystème.
 
·         Une approche concentratrice : la France n’est pas d’une dimension économique suffisante pour pouvoir concilier saupoudrage, aménagement du territoire égalitaire, et taille critique internationale sur les grands sujets innovants. L’innovation nécessite des moyens de plus en plus importants, qu’ils soient financiers ou humains. L’ambition de toute politique en la matière doit donc être de concentrer autant de ressources que possible sur quelques régions, réseaux, institutions et plus généralement « systèmes » de pointe.
 
·         « Faciliter l’émergence » en priorité et n’ « agir directement » qu’en dernier ressort. Nous avons développé l’idée de système innovant dans le cadre de notre note complète sur l’innovation : ces systèmes sont extrêmement complexes et s’appuient sur des mécaniques subtiles ; toute intervention directe risque dès lors d’être déstabilisatrice et contre-productive ; l’intervention politique doit en priorité viser à stimuler, inciter et faciliter.
 
·         Une approche holistique : l’innovation est un ensemble ; toute intervention économique ou politique doit tenir compte de cette caractéristique.
 
 
Afin de prendre en compte cette dimension « système », une recommandation à formuler serait la création d’un Centre national de l’innovation – entièrement indépendant et piloté par des professionnels de l’innovation, de différents horizons. L’idée n’est pas de créer un nouvel établissement administratif pour des motifs d’affichage, mais plutôt d’assurer une mission qui semble aussi essentielle que délaissée actuellement :
 
·         La recherche via la collecte de données et l’analyse de performance en matière d’innovation : collecte d’indicateurs clefs sur le financement, la performance des entreprises innovantes, des laboratoires, de la recherche universitaire ; benchmarking international ; mesure de performance des politiques publiques en matière d’innovation.
 
·         L’aide à la décision et le contrôle. Ce centre, via un comité de pilotage, pourrait être saisi ou se saisir de tout sujet qu’il estimerait afférent à l’innovation, afin de prononcer un avis sur les conséquences éventuelles de la politique en question. Sa mission serait de se prononcer sur la cohérence à moyen et long terme des politiques mises en œuvre, que celles-ci concernent la recherche, l’éducation, la fiscalité. 
 
3. 2. 2 - Les universités et la recherche
 
Nous avons retenus les objectifs suivants comme critiques à court terme : a) Comment associer la formation de qualité, reconnue sur le plan international, et une taille critique suffisante à l’échelle de l’établissement pour s’assurer une compétitivité internationale ? Et, b) Comment redévelopper le lien entre recherche et enseignement, notamment dans le cadre d’établissements « d’élite », dans la mesure où ce lien est essentiel au fonctionnement et à la fluidité du système ?
 
Les données de l’OCDE indiquent que 16 % des financements du système d’études supérieures français sont apportés par le secteur privé, contre 66 % aux Etats-Unis, 68 % au Japon, 50 % en Israël et 36 % au Royaume-Uni. Si l’on considère maintenant cette variable en donnée par tête, il en ressort que 11.000 USD sur les 25.000 USD de coût moyen par étudiant aux Etats-Unis sont issus de financements publics, soit un montant équivalent à l’investissement moyen total par étudiant en France. Sur le plan des ressources financières, comment envisager un rattrapage sous les contraintes actuelles ? A l’évidence, aucune solution simple n’existe. L’équation à résoudre est la suivante :
 
·         Un transfert massif de financement en direction du système d’enseignement supérieur.
 
·         Eviter le développement d’un système à plusieurs vitesses, les populations aisées choisissant de former leurs enfants dans des établissements coûteux ou à l’étranger. Il va de soi que la dichotomie Université/Grandes écoles conduit elle-même à un système à deux vitesses, ce mal étant considéré, avec une certaine hypocrisie, comme nécessaire dans un contexte d’extrême dénuement du système universitaire.
·         Tout ceci dans un contexte de rétablissement des finances publiques et de poids des prélèvements obligatoires en France déjà dans la moyenne haute de l’OCDE.
 
Quelques orientations peuvent être avancées :
 
 
Accélérer les fusions et regroupements d’établissements, en ciblant taille, multidisciplinarité, et lien recherche/formation, lequel est particulièrement rompu entre les sciences de l’ingénieur, d’une part, et les disciplines scientifiques, d’autre part, ainsi qu’avec le management.
 
·         La stratégie doit viser à créer 5 ou 6 pôles d’excellence à court-moyen terme, tout en favorisant leur association à d’autres ensembles universitaires par le biais de collaborations. Ces pôles doivent être concentrés dans de grandes régions innovantes, l’Île de France et le Sud notamment. Ils bénéficieront de moyens financiers et humains suffisants pour être compétitifs[11].
·         Renforcer très nettement le lien recherche-formation. Nous avons largement insisté sur ce point qui nous semble essentiel. Les pôles universitaires doivent également être de très grands pôles de recherche.
·         L’interdisciplinarité est un élément clef : les ingénieurs, chercheurs, managers doivent impérativement se fréquenter pour travailler ensemble et assurer le « buissonnement » nécessaire à l’innovation.
·         A terme, les écoles et les universités doivent à notre sens inévitablement s’intégrer, mais en veillant à ne pas détruire ce qui fonctionne, quitte très probablement à garder une logique d’écoles, très sélectives, s’insérant dans des établissements plus grands.
·         Dans son principe, il nous semble que l’accroissement de l’autonomie des universités est une voie inévitable, dans un contexte de concurrence accrue entre établissements ; elle doit néanmoins être corrigée dans sa mise en œuvre.
 
Des réformes ont été engagées en ce sens par le gouvernement précédent, avec peu de réussite et au prix de choix contestables. Il reste néanmoins vrai que le triptyque « politique d’incitations - accroissement des moyens - autonomie » est au cœur d’une dynamique d’excellence. La quasi-totalité des pays européens se sont d’ailleurs engagés dans cette voie. Pour mémoire, les Etats-Unis consacrent 2,9 % de leur PIB à l’enseignement supérieur, contre 1,4 % pour l’Union Européenne.
 
 
·         Transfert massif de ressources en direction du système d’études supérieures. Un tel transfertnous semble devoir être en partie importante supporté par le secteur privé :
-    Diversification des ressources des universités, notamment par la formation continue ;
-    Développement agressif des stratégies de fondations d’universités, y compris de communication publique sur le sujet et les enjeux, à destination des anciens élèves et entreprises ;
-    Développement des collaborations et contrats de recherche entre l’université et les entreprises.
-    Enfin, les frais de scolarité peuvent être un axe légitime de financement ; des réformes en la matière semblent possibles et compatibles avec une approche socialement égalitaire, notamment via un système de contre-garantie publique d’emprunts étudiants.
·         Continuer à favoriser l’essaimage, l’incubation et la mobilité des individus :
 
-    Réformer la politique de brevet/licence et prises de participation du CNRS, des autres grands laboratoires et instituts de recherche et des universités. Le travail du CEA sur ce sujet est intéressant. La recherche de ces établissements et organismes est évidemment un patrimoine considérable. 
-    Encourager la mobilité des hommes, qu’il s’agisse des chercheurs en poste par leur insertion dans le monde de l’entreprise (conseils d’administrations d’entreprises innovantes, etc.).
 
·         Développer les filières d'enseignement dans le domaine du développement web, le « cloud », et plus généralement le logiciel, notamment dans les formations d’excellence.
 
 
3. 2. 3 - Le financement de l’innovation – capital risque et fonds d’investissements
 
Sur le volet financement, le territoire français peut paraître relativement bien couvert sur les thématiques d’innovation, à la fois par les outils de subventionnement de type Oséo, par les fonds d’investissements bénéficiant ou non d’avantages fiscaux accordés aux contribuables (ISF, FCPI…), et enfin par les fonds d’investissements européens couvrant le marché français. Néanmoins, il nous semble que plusieurs axes de réforme doivent être explorés :
 
  
- L’ambition générale
 
 
De façon générale, il nous semble qu’un objectif ambitieux mais réaliste pourrait être de faire de Paris LA place du Private Equity (capital investissement) en Europe. Le financement de l’innovation pourrait jouer un rôle important sur ce sujet. Paris a depuis longtemps perdu toute chance de ravir à Londres un rôle international réel en matière de marchés cotés ; sur le sujet du Private Equity en revanche, Paris dispose d’avantages réels et pourrait encore prétendre s’imposer comme une place de référence en Europe. Ceci implique une approche par une logique de « place », et donc une politique coordonnée en matière :
·         de règlementation juridique pour les fonds d’investissements ;
·         de stimulation des implantations des fonds d’investissements d’origine étrangère et d’équipes internationales. Les effets d’échelles et externalités positives sont critiques en matière d’investissement technologique, le capital humain étant LA variable essentielle du fonctionnement du système ;
·          de stimulation des collaborations avec les grandes universités, laboratoires, centres de recherche nationaux, mais aussi avec les grands groupes technologiques implantés en France.
 
 
- Les fonds d’investissements
 
 
·         Assurer la stabilité des systèmes fiscaux et règlementaires dans le domaine du financement en capital de l’innovation. A ce titre, il est nécessaire :
 
-    d’éviter les interventions politiques permanentes en matière de contraintes d’investissements. En particulier, les règles auxquelles sont assujettis la collecte et l’investissement des véhicules fiscaux (ISF, FCPI) ne devraient pas être soumises aux évolutions politiques de court terme ; ce sont des outils de long terme et non de régulation conjoncturelle ;
-    d’éviter que ces mêmes outils fiscaux soient une source de déstabilisation de l’industrie du financement en capital des entreprises innovantes françaises dans son ensemble. Pour cela, une solution pourrait être de s’assurer que les fonds collectés par le truchement de ces outils fiscaux soient accessibles à tous les fonds centrés sur l’innovation, selon un mécanisme plus proche des fonds de fonds.
 
·          Favoriser l’émergence de fonds technologiques de taille importante, face à un ensemble français de plus en plus fragmenté et centré sur l’amorçage. Ces fonds sont essentiels et devront inévitablement avoir un horizon d’investissement européen, pour des questions de profondeur de marché et d’expérience.
 
  
- …et les thématiques clefs
 
 
·         Favoriser l’investissement dans les thématiques les plus complexes, fondamentales en termes de maîtrise technologique, mais actuellement moins aisément finançables pour des fonds d’investissements traditionnels – ainsi, à titre d’exemples, le logiciel et le « cloud », les télécom, les biotechnologies. On note dans ces domaines un retrait notable des investissements d’amorçage.
 
·         L’investissement direct en capital par les fonds liés à l’Etat dans certains de ces domaines, en amorçage comme en développement. Dans certaines conditions, notamment d’autonomie et de gouvernance des véhicules d’investissement envisagés (jamais réunies à ce jour), il nous semblerait intéressant que l’Etat joue un rôle d’investisseur direct pour : i) les sujets technologiquement critiques ; ii) la création et l’amorçage – voir à ce titre l’exemple allemand du « High-Tech Gründerfonds».
 
 
En dernier lieu, il nous semble important d’insister sur le fait que l’écosystème de l’investissement d’innovation est un ensemble fragile, constitué pour l’essentiel de petites équipes, dont la valeur et la pertinence se construisent dans la durée. Les politiques mises en œuvre doivent donc toujours viser la stabilité et le long terme (qu’il s’agisse de stimulation financière, de systèmes fiscaux ou de réformes juridiques) et veiller à ne pas introduire une forme ou une autre de distorsion de concurrence trop importante ; elles doivent avoir pour objectif essentiel de favoriser l’émulation et le développement d’une communauté d’individus et de moyens, dont la fonction essentielle est de financer, de favoriser, d’orienter et de participer au développement de liens aussi intenses que possibles entre les divers acteurs et institutions du système.
 
 
3. 2. 4 - Pôles de compétitivité
 
La politique des pôles de compétitivité est récente. Elle nous semble globalement très inadaptée, malgré certains éléments à retenir. En substance, la politique actuelle semble davantage procéder d’une nouvelle variante de la politique d’aménagement du territoire, associée à une volonté d’organiser administrativement la collaboration entre les grands groupes industriels.
 
Nous suggérons de :
 
 
·         Cibler une politique de surconcentration et non de saupoudrage et de décentralisation : l’échelle actuellement retenue est trop restreinte et micro-régionale. Il conviendrait des raisonner sur deux régions pour commencer, mais de dimension importante et d’ambition clairement mondiale. A titre d’exemple :
-    Ile-de-France très élargie (intégrant Nord de l’île de France entre autres) ;
-    Sud élargi autour de Toulouse/Marseille ou de la région Lyon/Grenoble.
 
 
·         La fragmentation importante des thématiques semble contraire à la tendance à l’interdisciplinarité et à la fertilisation croisée de l’innovation. Il faut au contraire garder des orientations très larges, donc souples, pour ces ensembles.
 
·         Supprimer autant que possible l’échelon administratif du pôle et favoriser l’émergence des groupes auto-constitués, sans participation publique trop directe, mais impliquant les acteurs les plus pertinents (universités, entreprises, laboratoires…).
 
Le système des clusters est un élément essentiel de toute politique de l’innovation ; son importance est d’ailleurs croissante. Mais cette politique ne saurait être envisagée efficacement qu’à une échelle massive, capable d’impliquer et d’intégrer tous les acteurs du système.
 
 
3. 2. 5 - Fiscalité, environnement juridique et politiques de soutien à la R&D et à l’innovation
 
Quelques grands principes peuvent être posés :
 
 
·         Stabilité juridique et fiscale :
 
-    Assurer la stabilité juridique et fiscale, pour les acteurs les plus fragiles et/ou les plus pérennes du système que sont respectivement les entreprises en création et les fonds d’investissement.
-    Garder à l’esprit la situation des jeunes sociétés, dont les conditions de fonctionnement sont lourdement affectées par les réformes souvent destinées aux grands groupes (CIR, Stock-options…).
 
·         Poursuivre la stimulation de la création d’entreprises :
-    Poursuivre une politique d’encouragement au sein de l’université et des grands groupes, avec simplification administrative à destination des créateurs d’entreprises et des chercheurs quittant l’Université.
-    Assurer la stabilité des politiques et ne pas toujours s’évertuer à supprimer les systèmes en place.
 
·         Subvention et réductions de charges : la lisibilité des dispositifs de type JEI et CIR est à améliorer et à étudier de manière approfondie, mais les deux systèmes sont en place et utilisés. Il semble en particulier important que l’élargissement de l’assiette du CIR qui est intervenue soit étudiée et ne devienne pas une source de pénalisation à terme des entreprises innovantes, dès lors que ce dispositif deviendrait soudainement trop coûteux pour les pouvoirs publics. Il conviendrait sans doute de trouver les critères permettant de focaliser le dispositif du CIR sur les entreprises en croissance et réellement innovantes. Les moyens de ces objectifs restent à déterminer et mériteront une analyse approfondie des effets du système actuel. En tout état de cause, le CIR étant un dispositif important, une réforme en la matière ne doit pas être trop rapide et/ou démagogique, son impact pouvant se révéler important.
 
 
3. 2. 6 - Small business act
 
Pour conclure, la mise en place d’un « small business act » à la française, donc l’objectif serait d’améliorer l’environnement économique, juridique et fiscal global dans lequel les petites entreprises évoluent pourrait se révéler d’une grande importance pour le secteur innovant dans son ensemble.
 
Les modalités d’une telle réforme nécessiteraient un travail approfondi. Elle doit viser à améliorer les rapports entre les grands groupes et les jeunes sociétés innovantes en poussant les premiers à :
 
·         Favoriser, à l’aide d’une démarche volontariste si ce n’est systématique, les jeunes sociétés en tant que fournisseurs de technologies ;
·         Adapter leurs cycles de décisions, en les accélérant, afin de prendre en compte l’horizon temps de ces fournisseurs potentiellement aussi importants que fragiles à court terme ;
·         Sefforcer de ne pas étrangler ces sociétés par leurs conditions financières ;
·         Favoriser l’essaimage, qu’il s’agisse d’équipes ou de technologies ;
·         Développer des capacités d’investissement en capital, de type « corporate venture » ;
·         Développer leur politique d’acquisitions à destination des sociétés technologiques, françaises et européennes notamment, afin de contribuer à soutenir le cycle de financement dans son ensemble, mais aussi d’accéder à des technologies qui risqueraient de leur échapper, voire de disparaître, dans le cas contraire.
 
Plus généralement, sur ce chapitre des relations grands groupes / jeunes sociétés, il importe que les premiers s’engagent davantage dans une logique d’écosystème technologique, en prenant conscience que leur rôle consiste également à entretenir, favoriser et développer cet écosystème, dans la mesure où ils seront les premiers à en bénéficier sur le moyen et le long terme.


[1] Pour une définition complète de ce que nous qualifions d’innovation, se référer à la note complète (Ibid.)
[2] Principalement les secteurs pharmaceutique, informatique, aérospatial, télécommunications, électronique, Web.
[3] La date de création a été retraitée dans le cas des créations « artificielles » comme lors de fusions ou de privatisations pour prendre en compte la date de première création de l’entreprise.
[4] France, Allemagne, USA.
[5] Base France+Allemagne+Etats-Unis.
[6] Nous avons retenu 16 entreprises (entre parenthèses, classement national de dépense R&D) : USA : Microsoft (1), Pfizer (2), Intel (6), Amgen (16), Google (17), Qualcomm (20), Amazon.com (29), Apple (31) ; France : Sanofi-Aventis (1), EADS (2), Alcatel-Lucent (3), Peugeot-PSA (4), Renault (5), France Telecom (8), Thales (10), Gemalto (38) ; Allemagne : Volkswagen (1), Siemens (2), Daimler (3), SAP (8).
[7] Voir section 2 ci-dessous.
[8] Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle
[9] Le CNRS concentre une grande partie des dépôts de brevets français et a déposé 204 demandes de brevets PCT en 2010, à comparer aux 1.200 demandes déposées par les 10 premiers déposants universitaires américains.
[10] Elles sont nombreuses : ce sont Google, Intel, Cisco, Amgen, VMware, Facebook ou Microsoft, par exemple.
[11] Une référence intéressante sur cette thématique est la réforme allemande des Eliteuniversitäten (programme débuté en 2006). L’initiative vise à transformer ces universités en pôles de recherche d'envergure internationale. A cet effet, elles sont dotées de fonds pour le développement de « concepts d'avenir », qui sont des projets de recherche s'inscrivant dans le long terme. Rappelons que, contrairement à la situation française, le principe d’universités et d’écoles d’élites était jusque là, depuis la Seconde Guerre mondiale, catégoriquement refusé par le système d’enseignement allemand.

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